Le Collectif Vélos en Ville associé aux partenaires de l’économie du vélo à Marseille (Le Maillon Vert, Steedy Shop, Allo Mécano Vélo, REX, Road Art) a organisé le 24 janvier 2020 une soirée ciné-débat au Théâtre de l’Oeuvre autour du développement du vélo à Marseille. Au programme, la projection du film néerlandais Why We Cycle - Pourquoi nous faisons du vélo - suivi d’une réflexion collective en vue des municipales animée par Stein van Oosteren, porte-parole du Collectif vélo Ile-de-France et infatigable porte-parole du vélo à travers le monde.
Petit retour sur cette soirée réussite où plus de 180 Marseillais·es sont venu échanger sur le vélo à Marseille.Dès midi, une petite équipe du Collectif Vélos en Ville a accueilli Stein V.O. à la gare St-Charles, pour un tour des réussites et des cauchemars cyclables de la ville. Il fallait bien une après-midi pour découvrir la plus belle piste cyclable de France sur la Corniche Kennedy et les aménagements kafkaïens qui empêchent les Marseillais d’envisager la solution vélo. Stein a résumé ce « diagnostic en roulant » dans un
fil de discussion sur Twitter (un « thread ») à lire ici sur ce lien.
Les vélos ont ensuite été attachés devant le théâtre de l’Oeuvre pour le ciné-débat autour du film Why We Cycle. Distribué en France par la Fédération des Usagers de la Bicyclette (FUB), ce film participe à une vaste mobilisation mondiale pour montrer que l’impact du vélo sur la société va beaucoup plus loin que les avantages économiques, environnementaux et pour la santé (débat à suivre sur les réseaux sociaux via #WhyWeCycle). A travers des expériences concrètes et de magnifiques images de la pratique du vélo montrant ses nombreux avantages, la salle a été plongée dans le silence des routes apaisées et le cliquetis des roues libres.
Une fois la lumière rallumée, Stein a brisé la glace en demandant si nous avions envie que Marseille devienne davantage cyclable. Eclat de rire généralisé et acquiescement. Nous avions tou-te-s ces belles images du Pays-Bas dans les yeux. La question est alors : comment faire pour que nous aussi nous ayons cette qualité de déplacement et ainsi cette qualité de vie ?
Car il n’y a pas de fatalisme ! Contrairement aux idées reçues, le vélo n’est pas une question de culture. Les Pays-Bas n’avaient pas de culture vélo initialement : « dans les années 70, c’était comme la France maintenant ! » rappelle Stein. Ce n’est pas une prétendue « culture du vélo», mais le ras-le-bol du tout-voiture et de l’insécurité routière qui ont mobilisé les Néerlandais à réclamer des aménagements cyclables. Un évènement déclencheur est le décès d’une fille à vélo renversée par un automobiliste, qui a mis des milliers de personnes dans la rue. La goutte qui a fait déborder le vase a été le choc pétrolier en 1973. N’ayant plus de pétrole et donc une économie à sec, le gouvernement a décidé de lancer un Plan Vélo national dès 1974. Ce n’est donc pas une culture, mais une décision politique sous la pression du peuple qui a lancé la création d’un véritable système cyclable. La culture vélo s’est ensuite développée, et a permis l’inversion de priorité entre la voiture et le vélo (Stein raconte
l’histoire du vélo aux Pays-Bas et en France sur ce lien).
Il y a de l’espoir pour Marseille, où le vélo a potentiellement toute sa place. Car la faible densité de population (4 fois moins que Paris !) et ses artères de 10 voies motorisés (!) permettent amplement la création d’un réseau vélo structurant comme à Grenoble et à Strasbourg. La piste sur la Corniche Kennedy en est la preuve : même sans liaison cyclable directe avec le centre-ville (pour la rejoindre, c’est une autoroute !) elle attire déjà 3.000 cyclistes le dimanche. Imaginez ce qui va se passer le jour où cette liaison cyclable sera créée : « ça va cartonner » a dit Stein. Le public exprime son accord !
Pour initier le débat, la parole a d’abord été donnée aux représentants des listes politiques présentes dans la salle.
Stéphane Coppey a pris la parole pour le Printemps marseillais en rappelant que le vélo est un allié important dans les luttes environnementales. Il a aussi souligné que si un plan vélo existe au niveau de la métropole, il y a actuellement une pénurie de personnel formé pour le mettre en œuvre ! Nous lisons cette analyse comme un engagement d’apporter l’expertise nécessaire pour développer un réseau vélo sécurisé de qualité,
comme ici à Montreuil.
Mathieu Grapelou, soutien de Yvon Berlan et qui a animé la page « Marseille à la loupe », s’est ensuite exprimé à partir de son expérience de cycliste. « Je pense qu’il faut faire du vélo à Marseille pour comprendre la difficulté de faire du vélo ». Il a noté le problème de la continuité entre les pistes cyclables, et que faire du vélo à Marseille actuellement était de l’ordre de l’acte militant. Il s’engage à défendre la place du vélo dans son engagement politique.
Une représentante de Debout Marseille se fait le relais de la voix de citoyen-ne-s qui sont angoissés-e-s de laisser leurs enfants à se déplacer seuls à vélo à Marseille. Elle a souligné l’importance d’avoir un vrai plan vélo permettant à tous les habitants de choisir le vélo comme moyen de déplacement.
François Coste a ensuite insisté sur l’importance que des personnes engagées pour le vélo soient élues, car leur expertise est essentiel pour dessiner et porter une politique cyclable capable de développer cette alternative à la voiture (et aux bouchons) sur le terrain.
Stein rebondit alors sur cette peur d’être mis en danger ou frôlé, qui est un des premiers obstacles à la pratique du vélo. Pour éliminer cette peur il faut de l’expertise et une approche globale : « sans plan vélo, pas de progrès ».
Un spectateur propose de rendre les pistes cyclables prioritaires sur les voitures comme il a pu l’observer dans d’autres villes. Applaudissements spontanés de la salle ! Stein souligne qu’il faut surtout exprimer ces demandes d’ « inversion de la normalité » de la place du vélo par rapport à la voiture, au moins pour deux raisons : un vélo est un moyen de transport plus vertueux et efficace qu’une voiture et demande plus d’énergie pour redémarrer (les pistes cyclables sont déjà normalement proritaires ndlr). Il invite alors à réfléchir à pourquoi des villes françaises comme Grenoble et Strasbourg connaissent une pratique du vélo dynamique ? La réponse est à chercher dans leur réseau cyclable structurant à l’échelle de la métropole, respectivement le « Chrono Vélo » et le « Vélostrass ». « Quand vous connectez les petits bouts de réseaux, la pratique explose. Ces villes ont eu le courage de connecter ce réseau expresse vélo et ca marche ! ».
Un spectateur souligne l’inadéquation du développement des pavés comme revêtement de la rue. Cette envie d’avoir une qualité de revêtement adapté est certes un confort mais essentiel pour rendre la pratique du vélo agréable. Aux Pays-Bas c’est un composant clef du système vélo : les pistes cyclables ont un enrobé rouge spécial qui est plus lisse que l’enrobé pour les voitures!
Sophie, cycliste en ville et cycliste voyageuse, intervient comme usagère et représentante du Collectif Marseille Féministe. Elle met en discussion la double violence rencontrée par les femmes : la violence ordinaire de la part des voitures, et les violences sexistes des insultes du quotidien. Dans ce contexte, elle témoigne de l’importance du vélo pour développer le sentiment de sécurité par rapport à se déplacer à pied ou en transport en commun, car la femme est plus libre de contourner ses agresseurs. Stein fait le relais de l’importance de ce sujet qui doit être traité à part entière et rapporte le témoignage d’une association de vélo en Tunisie qui porte ce combat en combinant vélo et lutte d’émancipation féministe.
Sophie regrette les conflits générés par les pistes cyclables sur les trottoirs, qui opposent cyclistes et piétons, alors qu’ils devraient être des alliés. Stein confirme et précise qu’actuellement, en France, il n’existe (presque) pas de formation dédiée à l’urbanisme cyclable dans la formation universitaire à l’urbanisme. Le monde urbain est pensé comme binaire : les piétons et les conducteurs de voiture. Où mettre alors les vélos ? Là où l’on trouve de la place, en slalomant sur le trottoir ou sur la route, comme une variable d’ajustement ! Stein a pu vérifier lui-même le conflit d’usage à Marseille : « J’ai interrogé des piétons qui étaient sur la piste cyclable devant moi, qui se demandaient quel était mon problème ! Et une bande de 200 ml de peinture blanche sur la route ne marche pas non plus, parce que ça n’enlève pas le sentiment de peur quand une voiture vous frôle à 50 km/h ». La solution consiste à considérer le vélo comme un moyen de transport légitime et complémentaire, permettant de combler le « trou » entre le piéton (jusqu’à 1,5 km) et la voiture (6 km et plus). Pour rendre les routes cyclables il faut, sur les grands axes au moins, quitter le
modèle binaire piéton-voiture et dessiner un
modèle tripartite ou ces trois catégories d’usagers très différents ont leur propre réseau efficace : le trottoir pour le piéton, le réseau cyclable pour le vélo et le réseau départemental pour la voiture.
S
tein présente alors en quelques mots un guide développé par Paris en Selle sur les infrastructures cyclables,
disponible en numérique sur internet et présenté brièvement dans
son article sur le site faravelo.
Une spectatrice rapporte alors l’initiative du S’coolbus, qui permet aux enfants de se rendre à l’école en pédalant. La ville de Martigue commence l’expérimentation. Cela permet aux enfants à la fois de se dépenser et d’apprendre le code de la route à vélo. Toute la salle acquiesce l’importance de cette initiative qu’il faudrait apporter à Marseille. Car plus on commence tôt à se déplacer à vélo, plus on a des chances d’être cycliste à l’âge adulte.
Elle est suivie par une prise de position un peu plus critique de la part d’un Marsellais. « Marseille ce n’est pas les Pays-Bas ». Marseille est en pente, étendue, avec des ruelles étroites. Les immeubles posent la question du stationnement du vélo. Ce qui manque sont les interconnexions avec les trains, comme pour aller à Aix. Stein lui répond que ces préjugés ne tiennent pas, et renvoie à une énumération exhaustive de ces préjugés sur le
compte twitter de son association FARàVélo. Le relief n’est plus un problème depuis l’invention du vélo électrique. Et Amsterdam, la ville à vélo numéro 1 au monde avec Copenhague, est pleine de petites rues tellement étroites qu’il n’y a même pas la place pour le trottoir ! Le vélo n’est pas une question de place, mais de volonté politique et de pression citoyenne. Le stationnement vélo est en effet une condition importante à mettre en place, notamment dans les gares. Et Stein de citer un autre élément très important d’une ville cyclable : la réduction de la vitesse et du volume des flux motorisés : « Je vous conseille de mettre toutes les rues de Marseille à 30 km/h, et vous vivrez dans un autre monde où les habitants oseront davantage faire du vélo » dit-il.
Un des partenaires de l’événement, Steedy Shop, rebondit sur le manque de places de stationnement. Beaucoup de leurs clients, qui viennent de toute la France, sont outrés car ils ne peuvent pas garer leur vélo. Mais il espère, comme beaucoup, que le changement est en cours : « On y croit, et c’est grâce à ce genre d’événement comme ce soir que ça va avancer. Il faut aller à la vélorution, mais on manque encore un peu de soutien ».
Une intervenante aborde un obstacle majeur : l’image de la voiture comme symbole de réussite sociale. A cela, pas de problème, Stein répond qu’« il faut montrer que le vélo est cool, car le vélo est hyper cool. Je suis convaincu que si un footballeur connu commençait à montrer qu’il se déplace à vélo, tous les jeunes s’y mettront immédiatement ! D’autant plus qu’il y a une sensibilité des questions environnementales dans la jeunesse d’aujourd’hui ».
Rebondissant sur ces enjeux de mobilisation, faut-il peindre des pistes cyclables citoyennes demande un spectateur ? Stein répond : « Pour changer la société, il n’y a qu’un seul moyen, c’est de s’exprimer. Avant même que la piste de la Corniche existe, des militants traçaient déjà leurs propres pictogrammes, et ils étaient embarqués par la police ! L’été dernier, cette même piste cyclable a été inaugurée en grande pompe par les responsables politiques du plus haut niveau ! Cela montre que votre expression était juste avant l’heure ». Le changement ne vient que s’il est poussé par tou-te-s. « Si vous voulez développer le vélo, ça dépend de vous : soyez nombreux, instruisez-vous et faites des propositions de qualité, et surtout ; soyez organisés. Et posez vos idées dans le débat publique et politique partout où vous pouvez, et le changement viendra ! ».
Concluant ce trop court mais très riche débat, Stein souligne l’importance de développer le programme « savoir rouler » à destination des enfants pour accompagner la pratique du vélo de tou-te-s : « si vos enfants apprennent à se déplacer à vélo, on ne va pas les laisser partir dans la rue sans leur donner des aménagements cyclables. Et si vos enfants se rendent à l’école rapidement, ils finiront par entraîner leurs parents. Voici l’évolution qui est en train d’avoir lieu ».
Ces discussions autour du vélo ont pu se prolonger tard dans la soirée avec la présence de la brasserie de quartier Rubé (Arthur à la tireuse) et le stand vélo de SIMPLE hot-dog ! Merci à eux et au Théâtre de l’Oeuvre pour cette ambiance propice aux échanges.
La soirée a été un succès pour nourrir la réflexion de tou-te-s en vue des municipales. Les idées exprimées seront rappelées aux candidats dans les semaines qui arrivent.
Le Collectif Vélos en Ville tient à remarquer le passage de Michèle Rubirola (Le Printemps Marseillais) et de Sébastien Barles (Debout Marseille). Nous regrettons l’absence de plusieurs listes, et en particulier les soutiens de Martine Vassal et de Bruno Gilles, et nous invitons tou·te·s les candidat-e-s à visionner le film Why We Cycle pour se convaincre que le vélo est une solution évidente aux enjeux de l’urbanisme actuel.
Nous vous donnons rendez-vous le 19 ou le 20 février à 19h pour un échange plus politique sur les engagements des listes autour du vélo à Marseille.